Troisième prédication de l’Avent 2022
Père Raniero Cantalamessa, O.F.M.Cap.
Un Dieu à aimer ou un Dieu qui aime ?
« Portes, levez vos frontons, élevez-vous, portes éternelles : qu’il entre, le roi de gloire ! » Saint Père, Révérend Pères, frères et sœurs, dans notre but d’ouvrir les portes au Christ qui vient, nous sommes arrivés à la porte la plus intime de notre « château intérieur », celle de la vertu théologale de charité.
Mais que signifie « ouvrir au Christ la porte de l’amour » ? Cela signifie-t-il que nous prenions l’initiative d’aimer Dieu ? C’est ainsi que les philosophes païens auraient répondu, selon la conception qu’ils avaient de l’amour de Dieu. « Dieu », disait Aristote, « meut le monde en tant qu’aimé [1]Aristote, Métaphysique, XII, 7, 1072b.». En tant qu’aimé, remarquez bien, pas en tant qu’aimant ! Cette vision philosophique a été complètement renversée dans le Nouveau Testament :
Voici en quoi consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils […] Quant à nous, nous aimons parce que Dieu lui-même nous a aimés le premier. (1 Jn 4, 10. 19)
Henri de Lubac écrit : « Il faut que le monde le sache : la révélation de l’Amour bouleverse tout ce qu’il avait conçu de la divinité [2]Henri de Lubac, Histoire et Esprit, Aubier, Paris 1950, ch. 5.». A ce jour, on n’a pas fini (et on ne finira jamais) de tirer toutes les conséquences de la révolution évangélique sur Dieu comme amour. L’Esprit Saint – nous enseigne saint Irénée – rajeunit continuellement le trésor de la révélation, ainsi que le vase qui le contient, qui est la tradition de l’Église. Avec son aide, essayons de comprendre quelle est, à propos de la vertu théologale de charité, la conséquence à découvrir et surtout à vivre.
Il existe d’innombrables traités sur le devoir et les degrés de l’amour de Dieu, c’est-à-dire sur le « Dieu à aimer », De diligendo Deo ; je ne connais aucun traité sur le Dieu qui aime ! La Bible est, elle-même, un traité sur le Dieu qui aime ; mais, malgré cela, presque toujours, quand on parle de « l’amour de Dieu », Dieu est l’objet et non le sujet de la phrase.
Or, il est bien vrai qu’aimer Dieu de toutes ses forces est « le premier et le plus grand commandement ». C’est certainement la première chose dans l’ordre des commandements ; mais l’ordre des commandements n’est pas le premier ordre, celui qui se trouve au-dessus de tout ! Avant l’ordre des commandements, il y a l’ordre de la grâce, c’est-à-dire de l’amour gratuit de Dieu. Le commandement lui-même est fondé sur le don ; le devoir d’aimer Dieu se fonde sur le fait d’être aimé par Dieu : « Nous aimons parce qu’il nous a aimés le premier », vient de nous rappeler l’évangéliste Jean. C’est la nouveauté de la foi chrétienne par rapport à toute éthique fondée sur le « devoir » ou « l’impératif catégorique ». Nous ne devons jamais perdre cela de vue.
Nous avons cru en l’amour de Dieu
Ouvrir la porte de l’amour au Christ signifie donc une chose bien précise : accueillir l’amour de Dieu, croire en l’amour. « Nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru », écrit Jean dans le même contexte (1 Jn 4, 16). Noël est la manifestation – littéralement, l’épiphanie – de la bonté et de l’amour de Dieu pour le monde : « Car la grâce de Dieu s’est manifestée (epephane) pour le salut de tous les hommes » écrit saint Paul. Et encore : « Dieu, notre Sauveur, a manifesté sa bonté et son amour pour les hommes. » (Tt 2, 11 ; 3, 4)
La chose la plus importante à faire à Noël est de recevoir avec émerveillement le don infini de l’amour de Dieu. Lorsque l’on reçoit un cadeau, ce n’est pas délicat de présenter immédiatement de l’autre main son propre cadeau, peut-être préparé à l’avance. On donne inévitablement l’impression de vouloir s’acquitter immédiatement. Il faut d’abord honorer le cadeau que l’on reçoit et celui qui l’offre, avec étonnement et gratitude. Ensuite – presque honteux et avec pudeur – on peut ouvrir son cadeau, comme si ce n’était rien en comparaison de ce que l’on a reçu. (Vis-à-vis de Dieu, notre don vaut, en réalité, moins que rien !).
Ce que nous devons faire, avant tout, à Noël, c’est croire à l’amour de Dieu pour nous. L’acte traditionnel de charité, du moins quand on le récite de manière privée et personnelle, ne devrait pas toujours commencer par les mots : « Mon Dieu, je t’aime de tout mon cœur », mais quelque fois, « Mon Dieu, je crois de tout mon cœur que tu m’aimes ».
Cela semble facile. Au contraire, c’est l’une des choses les plus difficiles au monde. L’homme est plus enclin à être actif que passif, à faire plutôt qu’à se laisser faire. Inconsciemment, nous ne voulons pas être débiteurs, mais créanciers ; nous voulons l’amour de Dieu, oui, mais comme une récompense, plutôt que comme un don. Ainsi, cependant, un glissement et un renversement s’opèrent insensiblement : à la première place, au sommet de tout, à la place du don, on met le devoir ; à la place de la grâce, la loi ; à la place de la foi, les œuvres.
« Nous avons cru à l’amour ! » : voilà un cri pour lequel il faut rassembler toutes ses forces et se faire violence. J’appelle cela la « foi incrédule » : une foi qui ne sait pas se rendre compte de ce à quoi elle croit, même si elle le croit. Dieu – l’Éternel, l’Être, le Tout – m’aime et prend soin de moi, petit rien perdu dans l’immensité de l’univers et de l’histoire ! « Faire naufrage dans cette mer m’est doux », devrions-nous nous exclamer avec le poète Leopardi[3]Giacomo Leopardi, L’infini, La Pionnière 2018..
Il faut devenir des enfants pour croire en l’amour. Les enfants croient à l’amour, mais pas sur la base d’un raisonnement. Par instinct, par nature. Ils naissent pleins de confiance dans l’amour de leurs parents. Ils demandent à leurs parents les choses dont ils ont besoin, peut-être même en tapant des pieds, mais le présupposé tacite n’est pas qu’ils les ont méritées ; c’est qu’ils sont des enfants et qu’un jour ils hériteront de tout. C’est notamment pour cette raison que Jésus recommande si souvent de devenir comme des enfants afin d’entrer dans son Royaume.
Mais il n’est pas facile de redevenir des enfants. L’expérience, l’amertume, les déceptions de la vie nous rendent prudents, méfiants, parfois cyniques. Nous ressemblons tous un peu à Nicodème. « Comment un homme – pensons-nous – peut-il naître de nouveau quand il est vieux ? » (Jn 3, 4) Comment pouvons-nous renaître, redevenir enthousiastes, nous émerveiller à Noël comme des enfants ? Mais qu’a répondu Jésus à Nicodème ? « Amen, amen, je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu ». (Jn 3, 5)
Ceci n’est pas le résultat d’un effort humain, d’un vœu pieux ou d’une excitation du cœur, c’est l’œuvre du Saint-Esprit. Jésus ne parle pas ici que du baptême, du moins pas uniquement du baptême d’eau. Il s’agit d’une renaissance et d’un baptême « dans l’Esprit », ou « d’en haut » (Jn 3, 3), qui peut se reproduire plusieurs fois au cours de la vie. C’est ce que les apôtres et les disciples vécurent à la Pentecôte et ce à quoi nous devrions nous aussi aspirer pour connaître dans une certaine mesure cette « nouvelle Pentecôte » que le saint pape Jean XXIII demanda à Dieu pour toute l’Eglise lorsqu’il annonça le Concile.
L’essence de la Pentecôte se résume dans ces mots du verset 4 du deuxième chapitre des Actes des Apôtres : « Tous furent remplis d’Esprit Saint ». Que signifie cette courte phrase, que nous avons entendue des milliers de fois ? « Ils furent tous remplis du Saint-Esprit », d’accord, mais qu’est-ce que le Saint-Esprit ? C’est l’amour – dit la théologie – dont le Père aime le Fils et dont le Fils aime le Père. Plus librement, nous disons, c’est la vie, la douceur, le feu, la béatitude qui circule dans la Trinité, car l’amour est tout cela ensemble et à un degré infini.
Dire, par conséquent, que « tous furent remplis du Saint-Esprit » revient à dire que tous furent remplis de l’amour de Dieu. Ils firent l’expérience bouleversante d’être aimés de Dieu. En mourant, le Christ avait détruit le mur de séparation que constituait le péché, et l’amour de Dieu pouvait enfin se déverser sur les apôtres et les disciples, les submergeant dans un océan de paix et de bonheur. En disant que « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5), saint Paul ne fait que décrire – de manière plus synthétique que narrative – l’événement de la Pentecôte, actualisé pour chacun dans le baptême.
L’amour de Dieu a un aspect objectif que nous nommons grâce sanctifiante, ou charité infuse, mais il comporte aussi un élément subjectif, une répercussion existentielle, comme c’est dans la nature même de l’amour. Il ne s’agit pas, comme nous sommes amenés à le penser, de quelque chose de purement objectif, ou ontologique, dont l’intéressé n’a aucune conscience. Le don du « cœur nouveau » ne s’est pas fait sous anesthésie générale, comme les transplantations cardiaques normales ! Nous le voyons dans le changement soudain qui s’opère en eux. Plus de peur, de rivalité, de timidité ; des hommes nouveaux, prêts à se lancer sur les chemins du monde et à donner leur vie pour le Christ.
« La charité édifie »
Le discours sur la vertu théologale de l’amour ne s’arrête certainement pas à ce point. Ce serait un discours inachevé, comme une protase qui ne serait pas suivie de l’apodose. La protase est : « Si Dieu nous a tant aimés… » ; l’apodose – ou conséquence – est : « nous aussi, nous devons l’aimer et nous aimer les uns les autres ». Mais nous avons tellement d’occasions de parler de l’exercice de la charité que, pour une fois, nous pouvons laisser de côté le « devoir » pour ne nous occuper que du « don ». Je me limiterai à quelques brèves considérations sur l’aspect social et ecclésial de la vertu théologale de charité.
On dit d’elle qu’elle « édifie » : « la connaissance enfle, la charité édifie » (1 Co 8, 2). Elle construit d’abord l’édifice de Dieu qu’est l’Église. « Au contraire, en vivant dans la vérité de l’amour, nous grandirons pour nous élever en tout jusqu’à celui qui est la Tête, le Christ. Et par lui, […] tout le corps poursuit sa croissance, […] Ainsi le corps se construit dans l’amour » (Ep 4, 15-16).
La charité est ce qui constitue la réalité invisible de l’Église, la societas sanctorum, ou communion des saints, comme l’appelle Augustin. C’est la réalité du sacrement (la res sacramenti), le sens du signe qu’est l’Église visible. « La charité demeure », dit saint Paul (1 Co 13, 13). Elle est la seule qui demeure. Lorsque les Écritures, la foi, l’espérance, les charismes, les ministères et tout le reste cessent, la charité demeure. Tout disparaîtra, comme lorsque l’on enlève l’échafaudage qui a servi à construire un bâtiment et que celui-ci apparaît dans toute sa gloire.
Pendant un temps, dans l’Antiquité, on avait l’habitude de désigner par le simple terme de charité, agapè, toute la réalité de l’Église. Ce qui fait immédiatement penser à la célèbre phrase de saint Ignace d’Antioche : « L’Église de Rome est celle qui préside à la charité (agape) [4]Ignace d’Antioche, Lettre aux Romains, salutation initiale.». On emploie cette expression en général en relation avec la primauté de Rome et du Pape. Mais elle n’énonce pas seulement le fait de la primauté (« préside »), mais aussi sa nature, ou la manière de l’exercer (« dans la charité »). C’est ce que l’Eglise de Rome a fait dans ses meilleurs moments et entend certainement faire encore aujourd’hui, en choisissant – également dans la nouvelle constitution Praedicate Evangelium – le dialogue fraternel, la synodalité et le service comme méthode de gouvernement.
La charité, cependant, ne construit pas seulement la société spirituelle qu’est l’Église, mais aussi la société civile. Dans son œuvre La Cité de Dieu, saint Augustin explique que deux cités coexistent dans l’histoire : la cité de Satan, symbolisée par Babylone, et la cité de Dieu, symbolisée par Jérusalem. Ce qui distingue les deux sociétés, c’est l’amour différent qui les motive. La première a pour mobile l’amour de soi-même poussé jusqu’au mépris de Dieu (amor sui usque ad contemptum Dei), la seconde a pour mobile l’amour de Dieu poussé jusqu’au mépris de soi-même (amor Dei usque ad contemptum sui)[5]Augustin, De Civitate Dei, 14, 28..
L’opposition, dans ce cas, se situe entre l’amour de Dieu et l’amour de soi-même. Dans une autre œuvre, cependant, saint Augustin corrige partiellement cette opposition, ou du moins la rééquilibre. La véritable contraposition n’est pas entre l’amour de Dieu et l’amour de soi. Ces deux amours, bien compris, peuvent – et même doivent – exister ensemble. Non, la véritable opposition est celle interne à l’amour de soi, et c’est la contradiction entre l’amour exclusif de soi – l’amor privatus, comme il l’appelle -, et l’amour du bien commun – l’amor socialis[6]Cf. Augustin, De Genesi ad litteram, 11, 15, 20.. C’est l’amour privé – c’est-à-dire l’égoïsme – qui crée la cité de Satan, Babylone, et c’est l’amour social qui crée la cité de Dieu où règnent la concorde et la paix.
Le sentiment social est né sur un sol irrigué par l’Évangile, et il est étrange que, dans les temps modernes, on se soit servi de cette conquête comme un argument à jeter à la face du christianisme. Dans les premiers siècles et tout au long du Moyen-Âge, le moyen par excellence pour agir dans la sphère sociale et aller vers les pauvres était l’aumône. Voilà une valeur biblique qui conserve toujours sa pertinence. On ne peut cependant plus la proposer comme la manière ordinaire de pratiquer l’amour social, ou l’amour du bien commun, car elle ne sauvegarde pas la dignité du pauvre et elle le maintient dans son état de dépendance.
Il revient aux politiciens et aux économistes d’initier des processus structurels qui réduiront l’écart scandaleux entre un petit nombre de mégariches et le nombre incalculable de déshérités de la planète. Il revient aux chrétiens – comme moyen ordinaire – de créer dans le cœur de l’homme les conditions pour que cela advienne. Pour ceux qui sont engagés dans le social, il s’agit de promouvoir ce qu’on appelle la « doctrine sociale de l’Église ». Pour les entrepreneurs chrétiens, par exemple, il s’agira de créer des emplois, comme l’a redit le Saint-Père au cours de la rencontre d’Assise en septembre dernier aux jeunes économistes qui s’inspirent de son enseignement.
Seul l’amour peut nous sauver
Avant de conclure, je voudrais mentionner un autre effet bénéfique de la vertu théologale de charité sur la société dans laquelle nous vivons. La grâce, dit un célèbre axiome théologique, suppose la nature, ne la détruit pas, mais la perfectionne[7]Cf. Thomas d’Aquin, S. Th. I, q. 2. a. 2 ad 1 (gratia [praesupponit] naturam); I, q. 1, a. 8, ad 2 (gratia non tollit naturam, sed perficit).. Appliqué à la troisième vertu théologale, cela signifie que la charité suppose la capacité et la prédisposition naturelle de l’être humain à aimer et à être aimé. Cette capacité peut nous sauver aujourd’hui d’une tendance lourde qui conduirait, si elle n’est pas corrigée, à une véritable « déshumanisation ».
Il y a quelques années, j’ai participé à un débat public à Londres. Le modérateur posait une série de questions à un certain nombre de théologiens, dont un professeur de théologie de l’université américaine de Yale, un évêque et un théologien anglican, et moi-même. La question cruciale était la suivante. Après avoir remplacé les capacités opérationnelles de l’homme par des robots, la technologie est maintenant sur le point de remplacer également ses capacités mentales par l’intelligence artificielle. Que reste-t-il donc à l’être humain de propre et d’exclusif ? Y a-t-il encore une raison de le considérer à part dans l’univers ? Est-il encore indispensable, ou n’est-il pas plutôt nuisible, à la nature ?
Quand ce fut mon tour de répondre, dans mon pauvre anglais approximatif, j’ajoutai une simple réflexion. On travaille, leur dis-je, à un ordinateur qui pense ; mais pouvons-nous imaginer un ordinateur qui aime, qui compatit à nos peines et se réjouit de nos joies ? Nous pouvons concevoir une intelligence artificielle, mais pouvons-nous concevoir un amour artificiel ? C’est peut-être alors précisément là qu’on doit situer le spécifique de l’humain et son attribut inaliénable. Pour un croyant biblique, il y a une raison à cela : c’est que nous avons été créés à l’image de Dieu, et « Dieu est amour » ! (1 Jn 4, 8)
Malgré toutes nos erreurs et nos méfaits, nous, êtres humains, ne sommes pas – et ne serons jamais – de trop sur terre ! Au terme de ses réflexions philosophiques sur le danger de la technologie pour l’homme moderne, Martin Heidegger, jetant presque l’éponge, s’exclame : « Seul un dieu peut nous sauver ! [8]Martin Heidegger, Antwort. Martin Heidegger im Gespräch, Gesamtausgabe, vol. 16, Frankfurt 1975.» Nous pouvons paraphraser : seul l’amour peut nous sauver ! L’amour de Dieu, cependant, certainement pas le nôtre.
« Il nous est né un Enfant »
Tournons maintenant nos pensées vers Noël qui est à nos portes. Avec la venue du Christ, le grand fleuve de l’histoire est arrivé à une « écluse » et repart à un niveau supérieur. « Les choses anciennes ont disparu, voici que des choses nouvelles sont nées » (2 Co 5, 17). Le grand « fossé » qui séparait Dieu de l’homme, le Créateur de sa créature, est comblé. Ce n’est pas pour rien que l’histoire humaine se divise dès lors en « avant le Christ » et « après le Christ ».
Il y a des cartes de Noël naïves, mais ayant une signification profonde. On y voit l’Enfant Jésus, pieds nus dans la neige et une petite lanterne à la main, de nuit ; il attend devant une porte à laquelle il a frappé. Les païens imaginaient l’amour comme un enfant auquel ils donnaient le nom d’Eros. C’était une représentation symbolique, voire purement et simplement une idole. Nous savons que l’amour est effectivement devenu un enfant, qu’il est désormais une réalité, un événement, voire une personne. « L’amour du Père s’est fait chair », c’est ainsi qu’un auteur du IIème siècle paraphrasait le verset de Jean 1, 14[9]Evangelium Veritatis, 23; I Vangeli gnostici, a cura di L. Moraldi, Milano, Adelphi, 1984, p.33.. L’amour s’est en effet fait enfant : l’enfant Jésus.
« Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi ». (Ap 3, 20) Ouvrons la porte de notre cœur à cet Enfant qui frappe. La plus belle chose que nous puissions faire à Noël n’est pas, disais-je, d’offrir quelque chose à Dieu, mais d’accueillir avec émerveillement le don que Dieu le Père fait au monde de son propre Fils.
Une légende raconte que parmi les bergers qui allèrent voir l’Enfant dans la nuit de Noël, il y en avait un, tout jeune, et si pauvre qu’il n’avait rien à offrir à sa Mère ; du coup, il se tenait à l’écart, honteux. Tous se battaient pour donner leur cadeau à Marie. Cette dernière n’arrivait pas à les prendre tous, car elle tenait l’Enfant Jésus dans ses bras. Voyant à côté d’elle le petit berger aux mains vides, elle prit l’Enfant et le lui mit dans les bras. Sa chance à lui était de ne rien avoir. Qu’elle puisse être aussi la nôtre !
Unissons-nous à l’émerveillement et à la joie de la liturgie qui, à Noël, reprend – comme un fait accompli et non plus comme une simple prophétie – les paroles d’Isaïe (9, 5) :
« Oui, un enfant nous est né,
un fils nous a été donné !
Sur son épaule est le signe du pouvoir ;
son nom est proclamé :
« Conseiller-merveilleux,
Dieu-Fort,
Père-à-jamais,
Prince-de-la-Paix ».
Saint Père, Révérend Pères, frères et sœurs, JOYEUX NOEL !
Traduction de Cathy Brenti de la Communauté des Béatitudes
References
↑1 | Aristote, Métaphysique, XII, 7, 1072b. |
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↑2 | Henri de Lubac, Histoire et Esprit, Aubier, Paris 1950, ch. 5. |
↑3 | Giacomo Leopardi, L’infini, La Pionnière 2018. |
↑4 | Ignace d’Antioche, Lettre aux Romains, salutation initiale. |
↑5 | Augustin, De Civitate Dei, 14, 28. |
↑6 | Cf. Augustin, De Genesi ad litteram, 11, 15, 20. |
↑7 | Cf. Thomas d’Aquin, S. Th. I, q. 2. a. 2 ad 1 (gratia [praesupponit] naturam); I, q. 1, a. 8, ad 2 (gratia non tollit naturam, sed perficit). |
↑8 | Martin Heidegger, Antwort. Martin Heidegger im Gespräch, Gesamtausgabe, vol. 16, Frankfurt 1975. |
↑9 | Evangelium Veritatis, 23; I Vangeli gnostici, a cura di L. Moraldi, Milano, Adelphi, 1984, p.33. |